s technologies ; d’autres fois, j’observais l’actualité politique via une poignée d’amis férus de la chose ; et ainsi de suite pour l’essentiel de mes centres d’intérêt, conseils commerciaux y compris.
La plupart d’entre-nous se limitaient de même aux « j’aime » ou « je veux » de leurs proches.
Nous ne cherchons plus, nous errons au hasard sur la toile et, quand quelque chose nous interpelle, nous « partageons » !
Voici quinze ans (c’est votre époque mais je suis également passé par là !), Google+ ne fit finalement qu’accélérer la cadence en intégrant les avis de ses internautes dans son moteur de recherche. On comprend mieux à présent comment ce dernier a broyé jour après jour sa pertinence, n’est-ce pas ?
recevoir une notification des Faceblokoeurs, qui m'ont félicité pour mon zèle à vouloir "améliorer" mon statut de solitaire. Pour le coup, j'aurai peut-être un jour ou deux de déconnexion totale en guise de récompense. Des rêves et des projets de moments intenses sans ardoise digitale accompagneront ma soirée jusqu'à très tard dans la nuit, je pense.
les petits supports amovibles qui supportaient d'antan nos gigas personnels ont été abandonnés au profit de grosses unités de stockage collectif.
Certes pouvons-nous y accéder de partout, aussi bien du désert, du fond des mers que des plus hauts sommets ; certes aussi y sommes-nous connectés en permanence ; certes encore sommes-nous reliés sans limite à nos cercles d'amis, au patrimoine intellectuel de l'humanité, bref, au monde entier ; mais certes enfin ne sommes-nous plus que des nomades nus, bancals et totalement dépossédés.
Je suis sur un nuage, au propre comme au figuré.
Tant qu'à ne plus être, je m'en vais me coucher sur un nuage de plumes, bien matériel et bien concret celui-là. Bonne nuit !
26 01 2027. Comme la plupart des N3+, je travaille à domicile.
Les N1 et N2, quant à eux, sont affectés à des tâches de terrain. Nettoyeurs, déchetteurs, vigiles, exécuteurs, cuisiniers, constructeurs, aménageurs et mainteneurs des bâtiments, etc. sont ce que nous appelons, avec une certaine condescendance, « les petites mains » (les « N… ains », ironisent-ils eux-mêmes !). Quant aux seconds, leur place dépend de leurs compétences : les N2+ ont à peu près les mêmes prérogatives que les N3-, mais tout dépend entre autre de leurs études ou de leur ancienneté. Par exemple, en domotique, un technicien, selon qu’il s’occupe des réparations de première ligne ou du trafic de données, sera qualifié 2+ dans le premier cas et 3- dans le deuxième.
Cette structuration linéaire est à la fois claire et complexe, mais concerne plus spécifiquement les revenus et avantages personnels que chacun peut en tirer.
Elle n’interfère pas (ou peu) sur le travail quotidien.
En effet, nous oeuvrons à tous niveaux « en réseau », c’est-à-dire en équipes mandatées pour projets successifs.
Les créatifs et concepteurs N3 et N4 (+ et -), desquels je fais partie, se réunissent par sessions multividéos en ligne et, si la distance le permet, lors d’un occasionnel gueuleton d’affaires en têtes-à-têtes qui crée un tant soit peu de liant à seule fin de renforcer l’esprit d’entreprise.
Les N5 sont les coordonateurs, à des degrés divers. Nous y retrouvons au plus bas les Faceblokoeurs (les gardiens des réseaux sociaux et de la sphère privée) ainsi que les Gog+ (un corps spécial d’agents dévoués à la vie civique). Au plus haut sont les coordinateurs de tous les projets.
J’ai rarement eu l’occasion de converser avec des N6, moins encore de rencontrer les N7 ou plus, s’ils existent. Leur fonction comporte beaucoup d’ombre, tant en contenus de fonction qu’en mission ou avantages. Il se peut que nous les croisions sur les réseaux sociaux, en quel cas ils y mentionnent sans doute un niveau nettement inférieur au leur.
Peut-être était-ce déjà ce que nous vivions au début des années 2000, je ne m’en souviens guère. Toujours est-il que le travail, moi, ça me travaille !
Mer 27 01 2027. Je suis né aux côtés des premiers ordinateurs dits «personnels».
Vous souvenez-vous qu’une bonne bécane coûtait alors plusieurs mois de salaire ? Quoique, pour une famille à revenus moyens (classe sociale exterminée depuis), on pouvait tout de même trouver quelque chose de raisonnable.
Bébé Topo’ gazouillait sur les genoux de celui qu’il prenait alors pour son père et suivait déjà de ses yeux émerveillés un minuscule carré blanc (Papa Topo ‘ disait « balle ») que deux petits rectangles plats (Papa Topo ‘ disait « raquettes ») se lançaient d’un côté à l’autre du moniteur.
La vraie Maman Topo’ n’a jamais compris comment on pouvait passer autant de temps devant un écran vert presque vide. Ce qu’elle oubliait, je pense, est que le petit carré bondissant entre les rectangles qui se prenaient pour des ascenseurs, c’était Papa Topo’ qui les avait programmés en nombre invraisemblables de nuits passées sur sa machine. Trois ans plus tard, Papa Topo’ II tripotait toujours davantage son ordinateur que Maman Topo’, au grand dam de la Dame car la balle de tennis était devenue entretemps un ballon de football.
Maman Topo’ avait fait un bébé toute seule (c’était une mode !) mais tombait systématiquement sur des hommes passionnés par de tels engins, alors qu’elle-même n’aura jamais posé la main sur une souris.
De Papa Topo’ III en Papa Topo’ IV, mon éducation fut donc des plus numérisées.
Mais je n’en ai revu aucun et cela me semblait inéluctable de m’installer un jour comme un grand au poste de pilotage.
Je me demande de quel clavier jouait Papa Topo’ zéro.
En définitive, j’aurais espéré qu’il m’apprenne l’accordéon.
Jeudi 28 01 2027. Une fois de plus, j’ai reçu une notification des Faceblokoeurs. Le ton est condescendant mais la mise en demeure est ferme. En fait, il apparaît dans les statistiques de mon compte que je ne suis pas assez enclin à répondre aux sollicitations évènementielles de mes « amis».
Il s’agit principalement de ces soirées virtuelles où chacun reste physiquement chez soi en projetant un hologramme de son corps physique chez chaque autre participant. En général, les discussions n’y sont pas inintéressantes, pas passionnantes non plus, même quand elles s’éternisent par les descriptions à rallonge des projets que l’un ou l’autre est en train de mener, mais il est bien trop rare que les soliloques se croisent par inadvertance. Rien de bien neuf, donc, si ce n’est de croire être ensemble alors qu’on se retrouve face à autant de mirages que d’invités ; et surtout de s’imaginer disposer d’un sacré don d’ubiquité.
Heureusement, cet artifice hologrammiste n’est consigné qu’aux moments de délassement, voire de rencontres plus intimes. Pas question, dans le cadre de réunions professionnelles, de mettre en piste un quelconque élément de perturbation ! N’empêche que, en ce qui me concerne, je trouve souvent plus de liberté au travail que lors des loisirs.
Bref, pour faire montre de bonne volonté, c’est avec une journée d’avance que j’ai ouvert mon catalogue afin d’y choisir celle qui changerait mon statut pour un week-end prolongé. « En couple avec… Ingrid. », l’ai-je aussitôt modifié. Comme d’habitude, je n’avais rien de visuel ni d'auditif pour me l'imaginer.
(à suivre sur Semaine 3)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire