"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

jeudi 12 avril 2012

dépossédé


Fin de l’épisode précédent : « Enfin, en insinuant qu’il ne m’avait quasiment jamais connu auparavant, lui aussi avait pesé de tout son poids (façon de parler car il est frêle comme une vieille branche !)  sur mon passé. Pour ma part, j’étais persuadé du contraire : sa mémoire se flétrit, me rassurais-je pour l’excuser. N’était-ce pas un comble d’amnésie pour celui qui avait presque été mon grand-père ? »
  
Episode 93. Mardi 13 04 2027. Une visite IRL de Jean-Philippe, notre coordinateur TimeWeather, n’est jamais de bon augure. Cela signifie en général qu’une simple notification via ardoise digitale, voire même un contact par hologramme, ne suffirait pas pour circonscrire le problème.
De fait, J.P. ne semble pas être venu pour me parler du temps qu’il fait : son niveau 5 s’affiche clairement sur son visage gras. Je ne l’achèterai pas avec un chodkawa, je le sais, mais je le lui propose quand même. Il accepte et ce n’est pas un bon signe : qu’allait-il me faire avaler ? m’inquiétai-je en préparant moi-même nos boissons.
« Lorrie n’est pas là ? » me crie-t-il d’un ton badin, presque enjoué, car celles et ceux qui me connaissent à TimeWeather considèrent généralement ma nièce (devais-je encore l’appeler ainsi ?) comme une mascotte. « Non ! » ai-je répondu sèchement avant de déposer les tasses entre-nous en guise de protection, vaine, bien vu, bien entendu.


« Bref ! », poursuit-il, sa mine sanguine quelque peu ennuyée, « Nous avons pris une grave décision à votre sujet, enfin, plus exactement, disons que nous voudrions connaitre votre avis sur la question, Bernard ! ». Aïe ! L’intimité de mon prénom en prit un coup et le silence qui s’ensuivit n’était sans doute pas anodin : J.P. me laissait le temps de soupeser le sens du terme « décision », le temps pour lui de se ramasser en boule sur son siège.


« Je vous écoute, Jean-Philippe ! … Grave ? ».
«  C’est à voir ! C’est à voir !… Dites-moi, connaissez-vous le jeune Chefy Thomas-Tito ? », Ce genre de question m’avait été posée à plusieurs reprises depuis trois mois et, à chaque fois, cela n’avait certes rien amené de bon. En effet, J.P ne reprit même pas son souffle pour m’annoncer crûment que leur nouvelle recrue allait tout bonnement reprendre le développement de ma TempoTopo’. « Nous pensons qu’il pourrait performer votre appli avec une très grande efficacité. C’est un excellent développeur, vous savez ! Très compétent, très motivé, très… prometteur !… Qu’en pensez-vous, Bernard ? ».
 

« Merci, Sophie ! », était à ce moment la seule chose que je puisse me dire intérieurement. Simultanément, je constatais que les points de suspension font rarement bon ménage avec le langage verbal, à fortiori quand c’est pour annoncer une très mauvaise nouvelle. Ils ne sont là que pour gagner du temps, ou bien pour avaler une gorgée, … ou deux, comme si J.P. était en train de penser à ma place.
 

Sa conclusion tomba comme une ardoise en panne : « Je comprendrais fort bien que vous puissiez vous sentir dépossédé, mon cher Topo ! … D’ailleurs, nous avons prévu de vous laisser vingt-quatre heures pour réfléchir à la question ! ».

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