"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

lundi 9 avril 2012

tarots


Fin épisode précédent ; « Dans la liste proposée, ç’avait été ce visage chocolaté à la moue dubitative qui s’était vite imposé : Maya, 39 ans, cartomancienne.
Intuitivement, j’avais imaginé qu’elle serait mon élément manquant du moment.
 ».

Episode 90. Samedi 10 04 2027. « Cartomancienne, comme à l’ancienne ! », disait-elle être sa devise, mais c’était surtout un trait d’autodérision.
Maya, psychosociologue à l’origine, travaille à HistoGram, la référence en matière de reconstitutions historiques, plus particulièrement dans les anciens lieux de culte. « Je suis chef du rayon Esotérisme ! », ajoute-t-elle encore, au mitan d’une pinte de rire inimitable qui me faisait d’emblée un bien fou. Humour et spontanéité allaient certes jalonner la journée, mais je ne savais pas encore ce matin que Maya m’emmènerait dans une introspection, assez radicale je dois le dire.

Cela avait commencé fort, dès notre première discussion hologrammique. « TopoTopo’ ! » comme elle aimait à dire, " Même sans tarots, je vois en toi comme en plein jour, mon frère. Dis-moi, dis-moi combien ta vie n’est plus celle d’autrefois !
"
- C’est exact !, avouai-je d’autant plus volontiers que cela ne m’engageait à rien.
« Dis-moi, dis-moi, mon frère, que tu as vécu un drame assez récemment ! ».
- C’est exact !, répétai-je avec une pensée émue pour Cécilia dont j’oubliais déjà le visage après deux ans seulement.
« Dis-moi, dis-moi à présent que tu as un rapport particulier avec le passé ! »
- C’est encore exact !, ânonnai-je en me demandant où sa clairvoyance allait donc s’arrêter.
« Dis-moi, TopoTopo’… », m’acheva-t-elle, avec ce rire large et ronflant qui devait lui être son ordinaire, « Comme tout un chacun, ces trois questions t’ont bluffé, dis-moi ? ». J’acquiescai, un peu mortifié.

Eh bien, de l’avis de Maya, elles n’auraient pas dû autant me souffler, car tout le monde, selon elle, y répond par l’affirmative. Paraît-il que c’est une astuce de mise en condition du sujet : chacun en effet estime avoir une vie différente aujourd’hui d’hier, une majorité a perdu un proche ou vient de subir un revers dans les cinq dernières années et la totalité entretient des rapports positifs ou négatifs avec son passé. Une fois ferré de la sorte, le sujet est mûr pour se laisser aller aux confidences ; il ne reste alors plus au devin qu’à bondir et rebondir du symbolisme des tarots aux images mentales de l’individu.
Bien sûr, commentait Maya, ceci n’est que l’aspect folklorique de la cartomancie.

En effet, plus tard dans la journée, cartes tirées au hasard et sur table cette fois, elle avait aussitôt repéré l’accident de Cécilia et de mon frère, deux années auparavant. « Mais ton problème, TopoTopo’, c’est que tu n’as jamais eu de frère, mon frère, si j’ose dire ! », et Maya de s’esclaffer bruyamment une fois de plus. Tout passe mieux avec le rire, essaie-t-elle de me convaincre, mais je n’en étais plus très persuadé.
« Soit ! Supposons ! », grinçai-je, peu convaincu par une telle assertion, « Alors, MayaMaya, dis-moi qui était donc cet amant qui accompagnait ma femme ? ».
Maya effaça un restant de sourire et le blanc de ses yeux éclata dans son visage sombre : « A quoi joues-tu, TopoTopo’ ? Tu es en train de me tester ou bien tu te moques tout bonnement? ».
 
Car elle sous-entendait qu’il s’agissait « tout simplement » de moi.  

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