"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

dimanche 15 avril 2012

piège


Fin épisode précédent : « Il est maintenant près de 8 heures du matin. Il fait frais et la brume est dense, dehors. Avant même d’étudier la proposition qui m’est faite, et surtout de comprendre ce qu’un contrat d’actionnariat peut revêtir, je monte à bord de n’importe quelle CapsoSat pour m’aérer l’esprit. Direction encore inconnue. »

Episode 96. Vendredi 16 04 2027. A mon retour tardif de R., où, toute la journée d’hier, de sombres nuages m’avaient gâché le côté champêtre du décor, je ne me sentais pas rechargé en suffisance pour examiner les aléas de mes perspectives au sein de TimeWeather.
 
Lorrie m’attendait comme une parfaite gynoïde avec d’excellents bistèques-confiture accompagnés de gros doigts de pommes de terre frits. En vérité, notre rapport ambigu la mène parfois à se comporter comme une femme fidèle, mais je n’ai jamais, au grand jamais, exigé cela de sa part.  Je dirais même plus : qu’elle fût ma nièce nous maintenait à une certaine distance l’un de l’autre, et je dois dire que cela me convenait davantage !
Ce matin, après une nuit agitée de réflexions en tous sens, mon ardoise digitale m’informe qu’une certaine Juliana Paderova (ce nom me rappelle quelqu’une, je ne sais qui) me contacte vers 6 heures pour que je sois son faceboy pendant un jour ou deux. J’apprécie la demande, c’est la première fois qu’une faceblokienne m’invite de la sorte. Bien sûr, j’accepte son hologramme. « C’est ridicule ! », me dit-elle, « Nous sommes… voisins ! ». Exact, je me souviens à ce moment de Juliana : elle n’a qu’à franchir le palier.   


« Vous avez été apostrophée par les Gog+, n’est-ce pas ? », dis-je en revoyant les images d’un petit matin récent. « Peut-être… et vous, vous en êtes ? ». Je la scrute. C’est une jeune femme d’une trentaine d’années, mince, petite, brunette aux yeux verts. « N’êtes-vous pas un Timothy Fastoche ? », insiste-t-elle, avec un regard de chatte indifférente. « Je ne vous comprends pas ! », décidai-je, « De quoi parlez-vous exactement, Juliana ? ». Ses prunelles vertes me font fondre, je passe à autre chose : « Vous avez de très beaux yeux, on vous l’a souvent dit, je pense ... ». C'était une flatterie ridicule, je sais et j'assume.  
D'ailleurs, aucune répartie de sa part sinon une moue craquante : « Je n'y comprends rien non plus, Bernard, mais dites-moi : pourquoi me mentez-vous ?».
Peut-être m'avait-elle séduit. J'avais fort envie de lui faire plaisir, de ne pas la contrarier, d'aller ensemble dans le même sens.
« Disons que j’en suis un ! », lâchai-je,vaincu.
«  Je suis vraiment désolée… », souffla-t-elle, avec un air qui disait tout le contraire, « Tellement désolée… vraiment ! ».


Il n’a pas fallu cinq minutes pour que le visage masqué d’un faceblokoeur envahisse mon ardoise digitale tandis que, dehors, un trio de Gog+ blanchissait le paysage.

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