"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

dimanche 25 mars 2012

full contact

075     Vendredi 26 03 2027. « Vous avez eu contact avec Mademoiselle Chatey Fotosmith,  Monsieur Topo’ ? » : c’était le retour du grand Gog+, apparemment satisfait de me chatouiller une fois de plus, et, ce coup-ci, je me trouvais démuni de toute kaptchacard immunitaire. 
- C’est elle-même qui m’a contacté !, me défendis-je au cas où Chatey ne leur soit plus très recommandable. Cela semblait le satisfaire de me sentir sur la défensive. « … Oui. Je vois d’ailleurs dans votre journal que vous avez passé le week-end dernier en sa compagnie… », poursuivait-il, imperturbable, sans même daigner me voir.
- C’est exact. A sa demande. Même en tant que N4, pouvais-je décliner l’invitation d’une Faceblokoeuse, fort jolie de surcroît ?
Je jouais ainsi la carte de mon nouveau statut et, en guise de joker, recherchais en lui une complicité masculine. Rien n’y faisait. Son air demeurait immaculé comme son costume.
- Elle s’était donc présentée à vous avec sa fonction officielle ?
- … Pas du tout ! C’est moi qui ai cru à une similitude de voix !
Pas question non plus d’accabler la jeune femme, des fois qu’elle soit de mon bord.

Je tentai une question directe avant qu’il ne m’interroge encore : « Cette dame a un problème ? ». Son regard noir charbonna sur son visage. « Un très gros problème, Monsieur Topo’, et vous aussi, si vous n’adoptez pas désormais une attitude plus franche et plus directe ! ». fit-il froidement en projetant sur le mur du salon une vidéo éloquente : Chatey, dans un état second ou sous narcotique, pendouillait lamentablement entre deux Gog’s peu amènes qui la maintenaient aux aisselles. Des traces de coups lui barraient le visage, une vilaine blessure s’épanchait sur son menton et la jambe gauche semblait brisée car son pied ne se tournait pas dans un sens très habituel.
Bref, une scène de violence à laquelle nous n’étions plus accoutumés, tout au moins affichée si effrontément. Nul doute qu’elle n’était destinée qu’à moi et qu’elle ne passerait pas aux informations publiques !
Mon Gog+ avait un sourire qui ne me disait rien qui vaille.
« A présent, Monsieur Topo’, dites-moi – voulez-vous ? - pourquoi vous vous êtes rendu en Mer du Nord… ». Tant de politesse est plutôt indigeste. J’y étais allé sans aucune autre intention que celle de prendre un bol d’air iodé. Mon estomac esquissa un salto arrière : cette réponse allait-elle lui suffire ?

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