"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

mardi 27 mars 2012

souci collatéral

Fin de l’épisode précédent : « « J’ai bloqué ma localisation ! », me rassure-t-elle (de je ne sais quoi). « Putain d’accident ! J’ai mal, tu peux pas savoir !», a-t-elle ajouté en mouillant ma poitrine d’une larme retenue.
Un accident ? Etre torturée par les Gog+, un accident ?


Episode 77. Dimanche 28 03 2027. Le regard avec lequel on interprète une information est manipulé par ce qu’on est poussé à en comprendre. Ainsi, la vidéo que m’avait imposée avant-hier le Gog+ prêtait à double-sens : Chatey, réduite en loque lamentable entre deux colosses blancs, présumait en effet pis que pendre à leur propos. D’emblée, c’est à cela que le discours brutal de l’agent m’avait pourtant préparé, dans l’unique but de me déstabiliser. De fait, désarçonné en un clin d’image, je me suis senti subitement fort coupable, du reste sans trop savoir de quoi. Si cet excité m’avait laissé quelques secondes de réflexion, j’aurais sans doute pensé que ce n’était tout de même pas ma petite appli’ TempoTopo’ qui justifiait autant de zèle de leur part. Et si je n’avais pas disposé de mon bouclier N4, peut-être aurais-je avoué avoir commercé avec cette pseudo FaceBlokoeuse  par pure obligation. « Je me doutais bien que cette personne était louche… », m’entendais-je rétrospectivement déblatérer, « Oui, une FaceBlokoeuse dont le nom sonne comme un pseudonyme, ce n’était pas très clair pour moi, mais dites-moi, aurais-je donc dû m’en méfier ? ». J’imaginais l’air jubilatoire du Gog+ : « Que voulez-vous dire par pseudonyme, Monsieur Topo’ ? », ou bien « Mademoiselle Chatey FotoSmith s’est donc présentée à vous en tant que FaceBlokoeuse, c’est bien ce que vous me dites, Monsieur Topo’ ? ».

- Exact, mon Topo’, fit Chatey en coupant court à mes tergiversations. Elle rajusta la longue chaussette de plastique qui lui raidissait la jambe, du tibia à la cheville. Son visage aux taches violacées opéra une série de grimaces : « C’est bel et bien moi qui suis visée sur ce coup-là, tout comme cette CapsoSat zigzagant à toute allure dans ma direction ! ».
D’après elle, la version officielle confortait l’idée d’une défaillance technique de la machine ; in extremis, elle avait opéré un léger saut de côté, sans quoi elle ne serait même plus ici pour nous en parler, bref, un stupide accident puisque rien ne prouvait qu’il s’agît d’un attentat ! De surcroit, n’étaient-ce pas les Gog+ eux-mêmes qui l’avaient emmenée au Dispensaire Social ?

«  Tout ça ne nous explique toujours pas tout ce ramdam ! » intervint Lorrie, entêtée comme toujours. « … Ni pourquoi tu te parachutes chez moi ! », ajoutai-je, les bras serrés en croix dans l’attente d’une répartie valide.
Son orbite gonflée nous fixait d’un regard noir et tendre à la fois. « Trop tôt et trop dangereux pour vous mettre dans la confidence, mes agneaux ! » fut la réponse lacunaire et d’ailleurs laconique. Je lui relançai son coup d’oeil comme au ping pong.
« D’accord ! » sembla-t-elle conclure. « Disons que tu fais partie de la réponse mais que je ne la connais pas moi-même encore, disons que Chatey ou Charline doive disparaître tôt ou tard, disons que, avant, j’ai envie de passer une nuit paisible dans ton lit, disons que j’ai la faiblesse de te faire confiance ! ».
Disons que j’étais faible, moi aussi, et que j’allais obéir naïvement à toutes ces conditions que Chatey m’imposait. Il n’en semblait pas de même pour Lorrie. « Et moi, qu’ai-je à voir dans cette histoire ? », s’enquit-elle, visiblement frustrée d’être mise ainsi à l’écart.
« Toi, ma chérie, tu n’es qu’un gros souci collatéral ! Mais tu ne me laisses pas vraiment le choix ! », persifla celle qui ne s’appelait déjà plus, ni Chatey, ni Charline.

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