"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

vendredi 9 mars 2012

se vider, se remplir


Mercredi 10 03 2027.  Cela m’en a coûté une demi-nuit d’insomnie mais voilà que j’ai terminé mes commandes pour vendredi avec deux jours d’avance. Des applications de ce genre représentent un bon quart des revenus de Timeweather ; pour moi, elles ne fortifient jamais mes compétences et sont finalement strictement alimentaires.
Passe encore celle qui détermine les demandes des animaux de compagnie selon leurs attitudes (alors que le maître perçoit en général ce qu’il veut d’un seul coup d’oeil) ; ne passe pas du tout par contre une appli’ domestique qui mesure l’intensité de la couleur des fruits et légumes ! « Quoique… »,  répliqueront certains peintres. On n’imagine pas tout ce qui se retrouve dans les ardoises tactiles de quiconque !

Un peu désabusé, je l’avoue, j’ai enfourché un villo en quête de bols d’air : je ne suis pas bien loin des zones vertes du sud de Bruxelles. La neige avait fondu et les oiseaux ne chantaient pas tant le ciel était sombre, bas et triste. Je me suis contenté du vent qui me giflait, des routes aux pavés qui me secouaient, des paysages mornes qui m’enveloppaient comme des nuages. Ma piste montait à cent mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais il n’y avait pas l’océan. Juste un long ruban de circulation en contrebas où les Capso-Sats défilaient, aimantées en interminables bandes de mobiles hexagonaux. Entre eux et moi, de vastes territoires pelés étaient encore tigrés de blanc.
Essoufflé, je me suis assis sur une vieille borne de terre : le chuintement de la circulation lointaine étouffait celui de mes poumons. Je me sentais bien, je me suis vidé, je me suis rempli et, en vérité, je me ressourçais.

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