"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

vendredi 16 mars 2012

vieille loque


Mercredi 17 03 2027. « Vous vous souvenez de moi, Monsieur Topo’ ? », fit-il, nuque pliée et tête penchée à ma hauteur. Franchement, non. Ce grand gaillard blanc qui dépassait l’encadrement de la porte ne me rappelait rien, ni personne. Aucune comparaison avec l’entêté de l’autre fois ou le roquet, son comparse. Celui-ci était presque sympathique, mais je ne me faisais pas d’illusion : « Gog+ chez soi, souci pour soi ! », comme le fredonnaient les gosses à mi-voix entre leurs quenottes.
« C’est que je me trompe, excusez-moi, Monsieur Topo’ … », se reprenait-il aussitôt, le nez cette fois écrasé sur son ardoise digitale, pour reprendre contenance sans doute. « Bon, nous avons ici une petite affaire en cours, de cela vous vous en souvenez, n’est-ce pas ? ». Sans doute faisait-il allusion à cet « ami » décédé qui phagocytait pourtant ma propre tablette.
« J’espère que nous pensons à la même chose, en effet ! … Mais, depuis, je suis passé N4 !», ajoutai-je sur le ton d’un soliloque. De toute évidence, il était désappointé de ne pas être au courant. « … Félicitations pour cette promotion !... », soufflait-il avec un solide relent d’ail, « Vous n’êtes donc plus sous notre tutelle, Monsieur Topo’, … excepté en cas d’infraction grave, évidemment ! ». Rire grinçant. Tandis qu’il flirtait avec le plafond, moi, j’avais les yeux au niveau de sa poche de chemise bien repassée où son badge de Gog+ affichait les nom et matricule, des fois que nous aurions une plainte personnelle à formuler à leur encontre. Son nom avait de quoi m’écarquiller le regard : ce malabar n’avait pourtant rien à voir avec le jeune homme rachitique et sans abri !
« Voilà ! », constata-t-il avec un sourire large comme une tranche de pastèque, « Je me disais bien que vous alliez tôt ou tard vous souvenir de moi… ».

Par réflexe, j’avançai la main vers lui, persuadé subitement qu’il ne s’agissait que d’un hologramme et que je traverserais son costume comme une fumée. Bien mal m’en prit ! J’en ai encore le souvenir sur les traces que ses doigts blancs m’ont laissées à la gorge. J’avais vu s’approcher le plafond, mes yeux tourneboulaient sans doute dans leurs orbites. « Désolé, Monsieur Topo’ ! », grinça le Gog+ en me lâchant comme une vieille loque, « C’est pur réflexe ! ».

Et c’est comme un vieil ami qu’il a tourné les talons avec un petit signe de la main.
« J’apprécie fortement votre silence, sachez-le, Monsieur Topo’ ! » fut sa dernière réplique.
                                                                                                                                                                                                                           

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