"Je m’appelle Bernard Topo. Je viens de Bruxelles en 2027, via une application que j’ai développée pour communiquer avec un passé où se pressentait déjà l’omnipotence de la technologie (l’ardoise digitale est comme le prolongement de la main) et des réseaux sociaux (les Faceblokoeurs veillent sur nos rapports humains et les Gog+ surveillent nos agissements).
L’évolution ne s’y décline pas en révolution : les pouvoirs financiers sont suprapotents, la politique brille par son absence, les technocrates exécutent et seule l’existence personnelle pimente encore d’un brin d’humanité ce futur qui vous est proche. Si proche que vous pouvez vous y retrouver et à la fois si lointain qu’on peut envisager ce constat comme l’un des multiples avatars de l’Histoire."

lundi 5 mars 2012

simple formalité

Samedi 06 03 2027. Déjà très impressionnants en rue, les Gog+ le sont davantage encore dans le couloir d’entrée de votre appartement. Cette fois, ils étaient deux, deux géants blancs à l’étroit dans l’encadrement de porte. Moi, à cette heure très matinale, je n’étais toujours qu’un insecte asocial.
« Monsieur Bernard Topo’ ? ». C’était le type qui était venu la semaine dernière : non, je n’avais pas changé d’identité depuis ! Aïe ! Je savais pourtant bien qu’il n’avait aucun humour.
« Nous ne sommes pas là pour badiner, Monsieur Topo’ ! » fit-il en posant trop amicalement son gant blanc sur mon épaule (il y a des jours comme celui-ci où on se demande si on a bien fait d’être soi). « Nous voudrions vérifier votre tablette digitale, Monsieur Topo’, Oh ! C’est une simple formalité… »
Je me dégoupillais la tête à force de vouloir le regarder dans les yeux. Comment gagner un peu de temps autrement que par une niaiserie du genre : « Ma quoi ? » ?
Par contre, il semblait logique que je demande ce qu’il se passait.
Réponse laconique et lacunaire, bien sûr ! Mais je devinai qu’ils s’intéressaient à la visite de Timothy et à l’enregistrement que j’en aurais éventuellement fait. D’appli’ en appli’, je craignais tout de même qu’ils tombent sur ma TempoTopo’, ou, pis !, sur ce que je vous écris depuis maintenant plus de 7 semaines.
Comme joker ultime, je n’avais plus que ma captchacarte ; j’étais cependant persuadé que ça n’apaiserait pas leur curiosité. De fait : « Nous savons que vous disposez en ce moment d’une carte prioritaire, Monsieur Topo’, mais nous aimerions vraiment vous voir coopérer ! » grinça le second. Ce « nous » avait une allure irrévocable qui ne m’agréait guère.
Soit. Je jouai mon va-tout. Mon ardoise digitale était en tête du lit, où vouliez-vous qu’elle soit à cette heure ? Je les invitai à entrer dans le salon, dans le but vague de les mettre dans de bonnes dispositions.

Vautrée sur le lit comme une impératrice, Sophie me tendit mon ardoise avec un sourire de papesse.
« Voici, Messieurs, la voilà ! Je ne vous fais pas profiter de l’intimité de ma chambre, n’est-ce pas ? », dis-je pour dire quelque chose. Plus rapide qu’un échange de ping-pong, le Gog+ me l’a rendue sur le champ ; il avait le regard sombre de celui qui s’est fait rouler. « Elle vient d’être reconfigurée il n’y a même pas deux minutes, Monsieur Topo’ ! », fit-il d’un ton où je percevais un soupçon d’agacement.
Tous deux se transformèrent illico en grands benêts quand Sophie entra en scène, tenue débraillée et œillades de circonstance. « C’est tout à fait normal ! C’est moi qui en assume la responsabilité !» serpenta-t-elle en s’approchant jusqu’à le toucher de celui qui donnait l’impression de vouloir la dévorer toute crue. « Pourquoi pensez-vous que nous disposons d’une captchacarte de sécurité, dites-moi ? ». Puis, devant leur air béat et leur silence contraint, elle rapprocha son souffle chaud de leurs oreilles : « Ouste, mes loulous ! Ouste ! ». Croyez moi ou non, on aurait dit deux molosses muselés et domptés quand ils ont franchi le seuil.

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